Recherche menée dans le canton de Vaud
Rapport élaboré dans le cadre du cours « atelier TP en sciences des religions »
Supervisé par Madame Zhargalma Dandarova
Juin 2020
Le burn-out chez les pasteurs
Introduction
Selon la récente recherche de Jérôme Cottin (2020), les pasteurs français, belges et suisses vivent de plus en plus de pressions, tombent dans le burn-out voire même la dépression. Une étude américaine constate que « 75 % des pasteurs vivent des niveaux de stress suffisamment élevés pour risquer le burn-out » (Gérer son engagement, éviter le burn-out dans le ministère, 2010). En Suisse, les institutions religieuses perdent leur influence et leurs fidèles (Statistique, OFS 2020), le taux de divorce ne fait qu’augmenter et n’épargne pas les pasteurs. Nombreux sont les facteurs qui peuvent préoccuper et accentuer le stress ressenti par les pasteurs. L’Église Réformée de Neuchâtel veut s’engager à réduire le stress chez ses collaborateurs, après avoir observé les résultats quelque peu alarmants de leur étude de 2019 (Des ministres « particulièrement exposés au burn-out », 2019). L’Église Évangélique Réformée vaudoise propose quant à elle déjà du coaching professionnel pour leurs employés (Un seul burnout, mais une Église épuisée, 2019). Face à cette montée de stress et une société qui rejette de plus en plus les institutions religieuses, il est important de mieux comprendre comment les pasteurs vaudois vivent l’épuisement au travail et le burn-out. Il est également intéressant de mettre en lumière les déclencheurs, les facteurs de risque et les facteurs de protection face au burn-out.
Qu’est-ce que le burn-out ?
Selon la définition qu’on trouve sur le site burnout-info.ch, le burn-out ou l’épuisement professionnel est un syndrome « désignant un état de fatigue émotionnel, mental et physique caractérisé par un manque de motivation et de performance après des mois ou voire des années de surmenage et de surenchère ; c’est un cercle vicieux. ». Les termes burn-out, syndrome burn-out, épuisement professionnel et syndrome d’épuisement professionnel sont donc synonymes et associés à un stress chronique, impactant la vie sur plusieurs niveaux.
Méthode
Afin d’obtenir un large panel de répondants et d’avoir un aperçu global de la problématique, la méthode du questionnaire diffusé en ligne a été privilégiée pour cette étude. Le lien du questionnaire a été envoyé aux responsables de la FREE (Fédération romande des églises évangéliques) ainsi qu’à l’EERV (Église évangélique réformée du canton de Vaud). Le questionnaire comportait trois parties. Une première partie relevant les données sociodémographiques telles que l’âge, le sexe, le niveau d’étude, l’état civil ainsi que le nombre d’enfants. Cette partie présentait également 3 questions sur le lieu de travail des pasteurs ainsi que leur paroisse : la situation géographique (ville, périphérie de la ville, campagne), le nombre de paroissiens et le réseau affilié à l’église. La deuxième partie comportait une évaluation actuelle du travail du répondant, qui visait entre autres à évaluer les tâches principales, les priorités et les préoccupations. Il m’a paru intéressant de relever le sens donné au travail par les pasteurs, la capacité à séparer vie de famille et travail ainsi que la capacité à limiter leurs engagements. La troisième partie, inspirée du « burnout inventory » de Minister & Elder et du modèle du bien-être subjectif au travail de Bakker & Oerlemans (2011), consistait à évaluer l’état émotionnel du répondant. La dernière question de cette partie renvoyait à 5 sections distinctes en fonction de la réponse (je n’ai jamais vécu de burn-out/je n’ai jamais vécu de burn-out mais j’ai vécu un épuisement/je vis actuellement un épuisement/je vis actuellement un burn-out/j’ai vécu un burn-out). Chacune de ses sous-parties comportait une question spécifique sur les facteurs protecteurs et facteurs de risque.
Deux sous-groupes ont été ensuite construits pour le traitement des données selon des réponses données à la question principale sur le burn-out : (1) la population en burn-out (passé ou présent) et (2) les répondants en épuisement (passé ou présent). Ce choix se justifie par le fait que le burn-out et l’épuisement professionnel sont synonymes. Pourquoi donc avoir fait deux catégories ? Le mot burn-out peut être perçu comme un stigmate pour certaines personnes, il m’a paru avantageux de proposer un choix entre le burn-out et l’épuisement professionnel. De plus, le burn-out peut être plutôt associé à un diagnostic établi par un professionnel de la santé. Selon Renzo Bianchi, spécialiste du burn-out à l’Université de Neuchâtel, il n’y a actuellement pas de critères diagnostiques clairement définis pour le burn-out. Cependant, une personne en épuisement professionnel depuis plusieurs mois (même seulement 3 mois) serait probablement considérée comme étant en burn-out par la plupart des spécialistes de l’épuisement professionnel.
Description de la population
La population étudiée comportait 30 personnes, dont 7 femmes et 23 hommes. La moyenne d’âge des participant.e.s est de M = 52.1 ans (ET = 13.4), allant de MIN = 28 ans pour la personne la plus jeune à MAX = 71 ans pour la personne la plus âgée. Parmi les répondants, une majorité appartenait à l’EERV (19), suivi par la Free (7), les autres églises appartenant au Réseau évangélique suisse (2) et la conférence des Églises romandes (1).
Le groupe burn-out et épuisement (passé ou présent) compte 13 pasteurs : 43.3 % de l’échantillon. Le groupe sans burn-out comporte 17 pasteurs : 56.7 % de l’échantillon.
Analyse des données sociodémographiques
Dans le tableau ci-dessous, des données sociodémographiques (âge, nombre d’enfants, début du métier, état civil) des deux groupes (burn-out entre et sans burn-out ont été présentées. Ce que nous pouvons observer, c’est que le groupe burn-out a une médiane d’âge ainsi que d’années d’expérience (début du métier) plus élevée que le groupe sans burn-out. On peut supposer que plus une personne aura d’expérience, en termes d’âge et de durée de travail, plus elle aura un risque de faire un jour un burn-out. Cependant le nombre petit de répondants à ce sondage ne permet pas de donner des réponses définitives.
On observe également que le lieu de travail peut être en lien avec le risque plus élevé de burn-out : plus de pasteurs sont en burn-out dans les villes plutôt qu’en périphérie de la ville ou en campagne. Cela ne s’explique pas par le fait que les églises en ville sont plus nombreuses, car le facteur nombre de paroissiens n’a pas montré une influence sur le fait d’avoir un burn-out.
Qu’est-ce qui préoccupe les pasteurs ?
A la question ouverte sur ce qui préoccupe le plus dans le ministère, des pasteurs citent le plus souvent : les relations au sein de l’église et du leadership, ainsi que la diminution des paroissiens. Les préoccupations proviennent également de la grande sollicitation des paroissiens et des autorités : « ne pas arriver à tout faire, à répondre à toutes les demandes exprimées ou imaginées », « la pression de devoir toujours faire autrement avec moins de force », ou encore « les attentes des gens deviennent tellement variées et individualisées ». Le métier de pasteur demande une transparence, une honnêteté, une foi et ce sont des éléments qui préoccupent particulièrement plusieurs pasteurs interrogés.
A un niveau plus global, les pasteurs sont préoccupés par la société changeante notamment de par la « révolution numérique », « le consumérisme », mais également par l’effritement de l’institution religieuse. L’église est présentée par certains comme instable et il est difficile pour eux d’avoir une église ainsi que des messages pertinents. Face à ces changements, certains pasteurs ressentent une pression de devoir faire autrement : « la pression de devoir toujours faire autrement avec moins de force ».
Le sens au travail
En ce qui concerne ce point, on observe que le travail a du sens pour une majorité des répondants dans les deux sous-groupes bien que le nombre de réponses « oui totalement » soit beaucoup plus bas dans le sous-groupe « burn-out ». Dans le graphique ci-dessous, vous observerez également que la perte de sens au travail est associée qu’aux personnes ayant fait un burn-out.
Une question ouverte pour ceux qui n’arrivent pas avoir un sens au travail a été posée afin d’avoir e plus amples précisions sur ce point : « Pourquoi votre travail n’a pas de sens ? ». Voici quelques réponses données :
Les répondants « Ni oui ni non »
« Je dois faire tourner une boutique qui n’est pas conçue pour être une boutique »
« Le ministère n’est plus le même et mes convictions ont passablement évolué. D’autre part, nous sommes comme pasteurs très peu sollicités hors les actes ecclésiaux (SF, mariages et baptêmes, encore que ces deux derniers ne soient pas courant, 2-3 par années). L’EERV est marginalisée et a de la peine à en prendre conscience dans les faits. »
Les répondants « Non »
« Trop de gens n’en ont plus rien à faire, trop de managers pour nous dire quoi faire, plus beaucoup de bon sens... »
Les pasteurs arrivent-ils à mettre des limites à leurs engagements ?
La répartition des réponses démontre qu’une majorité dans les deux sous-groupes semble avoir de la peine à mettre des limites à leurs engagements (40 % de « plutôt non » et 30 % de « ni oui ni non »). Cela ne semble pas être un facteur principal qui conduit au burn-out, car il y a pas de grande différence entre les personnes sans burn-out et avec burn-out.
État émotionnel
Premièrement, on observe sans surprise un taux de réjouissance à aller au travail plus faible chez les personnes en burn-out. Ces personnes sont également plus souvent envahies par des sentiments de tristesses.
Deuxièmement, les pasteurs vivant un burn-out sont en général plus fatigués et supportent généralement mal le stress. Cependant, il est intéressant de noter qu’un tiers des pasteurs n’ayant jamais vécu de burn-out sont souvent fatigués et ne supporte pas bien le stress.
Troisièmement, les pasteurs ayant vécu un burn-out se sentent moins soutenus dans leur travail. Ils sont également un peu moins flexibles avec leur horaire. Cela pourrait provenir de la fatigue, du manque de soutien et de réjouissance à aller au travail.
Quatrièmement, les pasteurs en burn-out s’investissent un peu plus souvent émotionnellement dans leur travail, mais subjectivement estimé, passent moins de temps avec les membres de leur paroisse. Une hypothèse pourrait être qu’ils passent moins de temps avec leurs paroissiens lorsqu’ils vivent un burn-out, car ils s’investissent plus émotionnellement. Ou encore qu’ils n’ont pas assez de temps pour avoir de vrais contacts, relations avec leurs paroissiens et trop de routines bureaucratiques.
Facteurs de risques
J’ai pu déterminer plusieurs facteurs de stress, facteurs pouvant mener à un burn-out et facteur ayant amené à un burn-out, grâce à la question ouverte : « quels sont les facteurs qui pourraient vous amener ou vous ont amené à faire un burn-out ? ».
Facteur surcharge : trop de stress, difficulté à gérer son énergie, trop de projets, agenda trop rempli
Facteur personnel : perfectionnisme, adaptation, ne pas lâcher prise, perte de motivation, perte de sens, oubli de soi
Facteur relationnel : tension dans l’église et hors, pression et attentes des paroissiens, perte des membres, négligence du foyer
Facteur travail : horaires irréguliers, manque de vacances, pas assez de congés, travail le week-end, séances inutiles et trop souvent, manque de structure
Facteur institutionnel : maltraitance, non-reconnaissance des prises de position de la hiérarchie, évolution du monde, incertitudes sur la répartition des collègues par l’ORH
Voici quelques réponses données par le sous-groupe en burn-out :
« La nécessité de devoir sans cesse puiser en soi la motivation pour travailler. La solitude du ministère. La question du sens sans cesse posée... »
« Les incertitudes sur la répartition des collègues par l’ORH. Ne pas savoir si on aura un collègue avec qui partager le travail à l’avenir. Les restrictions des marges de manœuvres dans l’organisation de son travail. La surcharge de travail due aux séances pour se réorganiser constamment. Devoir maintenir des activités parce qu’il faut remplir le budget. La pression financière qui dicte les activités à tenir. Le manque d’attention institutionnelle à l’action personnelle. »
« Agir comme si nous sommes sans limites et se donner tellement pour les autres que l’on s’oublie soi-même, ce qui est malsain. »
Facteurs de protection
J’ai pu déterminer plusieurs facteurs de protection, facteurs pouvant éviter un burn-out et facteur de protection pour des personnes ayant vécu un burn-out, grâce à la question ouverte : « quels sont les facteurs qui pourraient vous empêcher ou vous ont empêché de faire un burn-out ? ».
Facteur personnel : prendre du temps pour soi, seul, ressourcement, loisirs (sport, nature), passer du temps avec sa famille
Facteur relation : entraide, supervision, solidarité, avoir un coach, recevoir de la reconnaissance au niveau individuel, former l’église
Facteur foi : liberté, théologie de la Grâce, savoir dire non, prière, se connaître
Facteur institutionnel : se former, cahier des charges, oser s’affirmer, compte d’heures, clarifier les tâches et les attentes
Voici quelques réponses données par le sous-groupe en burn-out :
L’étude a permis de mettre en lumière le nombre restreint de ressources des pasteurs ayant vécu un burn-out en comparaison aux nombreux facteurs de risques qui sont ressortis. Voici ces quelques réponses :
« la vie de communauté »
« Une activité sportive régulière... pour le reste, si je le savais... »
« un bon équilibre personnel »
Conclusion
Cette étude a relevé un constat quelque peu alarmant : 43.3 % des pasteurs pourraient vivre dans leur carrière un épuisement ou un burn-out. Les facteurs de risques sont nombreux pour ceux qui exercent cette vocation aujourd’hui, en Suisse, pays largement sécularisé et plurireligieux. Tandis qu’en comparaison peu de pasteurs semblent avoir des ressources suffisantes pour faire face au stress, à l’épuisement et au burn-out.
Limite de l’étude et autocritique : Lors du choix des 5 catégories (burn-out passé ou présent, épuisement passé ou présent, pas de burn-out ni d’épuisement) le questionnaire proposait une 6ème catégorie nommée « autre », cela était une erreur de construction du questionnaire. Deux pasteurs ont répondu "autre" et n’ont donc pas bien complété le questionnaire. Cependant je les ai regroupés dans la catégorie sans burn-out, d’après leur description.
La question du nombre de paroissiens n’était pas assez précise et n’a pas été comprise de la même manière par tous les répondants. La question aurait dû comporter nombre de paroissiens actifs.
Il aurait été intéressant de demander le moment d’apparition du burn-out, afin de déterminer si le burn-out est dépendant du nombre d’années de pratique.
Pour la suite, il serait pertinent d’avoir un plus grand échantillon. Il est possible que le nombre de pasteurs en burn-out soit supérieur à la moyenne dans mon étude, étant donné que ce questionnaire leur donnait la possibilité de s’exprimer sur leur situation. Des entretiens qualitatifs permettraient également d’avoir plus de précisions sur certaines questions, étant donné que certaines réponses n’étaient pas assez développées. Pour finir, une question sur l’utilisation des dispositifs de prévention du burn-out, permettrait de mettre en lumière un éventuel besoin de renforcer les mesures de prévention.
Bibliographie
Article :
Maslach, C., Schaufeli, W. B., & Leiter, M. P. (2001). Job burnout. Annual Review of Psychology, 52(1), 397-422. doi:10.1146/annurev.psych.52.1.397
Articles en ligne :
Des ministres « particulièrement exposés au burn-out ». (2019, juillet 5). protestinfo - agence de presse spécialisée dans l’actualité des Églises réformées de Suisse romande, les questions d’éthique, de société et de spiritualité. https://www.protestinfo.ch/eglises/2019/07/des-ministres-particulierement-exposes-au-burn-out-ne-eglises-travail-sante-stress
Gérer son engagement, éviter le burn-out dans le ministère. (s. d.). Consulté 12 mars 2020, à l’adresse https://www.croirepublications.com/cahiers-ecole-pastorale/ministere-pastoral/article/gerer-son-engagement-eviter-le-burn-out-dans-le-ministere
Un seul burnout, mais une Église épuisée. (2019, août 22). Réformés.ch - site d’actualité et journal des protestants réformés de Suisse romande. https://www.reformes.ch/eglises/2019/08/un-seul-burnout-mais-une-eglise-epuisee-burn-out-reformes-septembre-2019-eerv
Statistiques :
Statistique, OFS (2020, janvier 30). Evolution du paysage religieux—1970-2018 | Diagramme. Office fédéral de la statistique. /content/bfs/fr/home/statistiken/bevoelkerung/sprachen-religionen/religionen.assetdetail.11527929.html
Questionnaire :
The Oswald Clergy Burnout Scale: Reliability, Factor Structure and Preliminary Application Among Australian Clergy
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