Proximité et distance: une question de tact et de clarification des rôles
La crise des abus dans le contexte de l’Eglise a accru l’insécurité en ce qui concerne le problème de la proximité et de la distance dans les contacts personnels. L’exigence de la tolérance zéro en matière d’exploitation sexuelle, par ailleurs justifiée, révèle toutefois une face cachée qu’il faut prendre en compte dans le cadre de la prévention: la culture de la peur et de la méfiance en ce qui concerne la proximité.
Karin Iten
Une telle culture impose le silence et paralyse l’action, ce qui empêche toute prévention efficace. La peur de faire faux lorsqu’il s’agit de gérer la proximité dans le cadre de contacts personnels sape la prévention, car elle nous rend muets. Alors que la prévention doit miser sur le dialogue, sur la transparence, sur une culture d’équipe porteuse.
Processus d’apprentissage et culture de l’erreur
Tout accompagnement spirituel implique une proximité – émotionnelle, spirituelle, parfois physique. Des recherches neurobiologiques – notamment celles menées par Rebekka Böhme – montrent qu’un simple contact de la main sur le bras de son interlocuteur exprime mieux la compassion que mille mots. Un manque de proximité dans une atmosphère froide et sans cœur est tout aussi inopportun qu’une trop grande proximité. Mais c’est quoi, la proximité professionnelle? Jan Volmer, dans son livre, définit la notion d’une proximité qui «fait preuve de tact». Un tact qui implique de sentir ce qui est juste en toute circonstance, qui exige de pleinement accepter la spécificité de son interlocuteur et de respecter ses droits. Sans oublier que le tact s’apprend, jour après jour, il n’est pas acquis une fois pour toutes. Autrement dit, le tact dont doit faire preuve un-e pasteur-e est un processus d’apprentissage tout au long de la vie, et il mûrit grâce au feedback et à l’acceptation. Toute personne qui se confie à elle, à lui, lui soumet des questions existentielles, a le droit d’attendre d’eux qu’ils fassent tout leur possible pour agir avec tact. Des pasteur-e-s capables de s’exprimer dans le cadre d’une culture d’équipe mettant en avant la proximité, qui s’autorisent expressément à se donner des feedbacks mutuels, sont à même de créer le terrain pour une prévention permettant de soutenir toute personne, en toute circonstance. Ces feedbacks mutuels sont aussi importants lorsque la proximité est gérée correctement. Les recherches montrent qu’il faut cinq feedbacks positifs pour être en mesure d’en recevoir un négatif. Et pour parfaire son tact, un feedback négatif de temps à autre est indispensable, car faire des erreurs fait partie de tout processus d’apprentissage. Une proximité empreinte de tact a besoin d’une culture de l’erreur. Alors que la tolérance zéro est d’actualité dès lors que la ligne rouge de l’humiliation ou du délit est franchie.
Dialoguer et prendre conscience de son rôle
«Tout l’art du tact consiste à percevoir et à respecter le besoin de l’autre de se protéger et de trouver un équilibre intérieur», écrivent le psychothérapeute Günter Gödde et l’éducateur Jörg Zirfas dans leur ouvrage «Takt und Taktlosigkeit». Dans une relation d’aide, confier ses aspirations ou sa détresse spirituelle, c’est dévoiler sa propre vulnérabilité. Bénéficier du suivi par un-e pasteur-e, c’est donc avoir le droit à sa plus grande attention. Se faire accompagner dans le magasin de porcelaine de son âme exige donc une certaine proximité, mais aussi un sens du retrait, de la prudence et de la distance pour se protéger. La responsabilité en incombe à celui qui offre cette aide. «Garder ses distances, c’est laisser à l’autre son propre espace, c’est ne jamais le suivre dans les moindres recoins de sa forteresse intérieure», écrit Peter Bieri, philosophe et écrivain. L’art de trouver l’équilibre entre proximité et distance implique d’osciller en permanence entre authenticité et réflexion, en trouvant le bon rythme, un pas en avant un autre en arrière, tout en prudence. C’est précisément dans le contexte de la proximité et de la corporalité qu’il convient de distinguer clairement le privé du professionnel. Ce qui va de soi dans une relation privée peut dépasser les limites dans une relation de dépendance pastorale. Etre un-e bon-ne pasteur-e, c’est avoir conscience de son rôle, d’adopter un comportement clair et de communiquer lorsque l’on transite d’un rôle à l’autre.
Réflexion sur le pouvoir et normes de qualité
Dans une relation d’aide, on occupe une position de pouvoir, de par le statut ou de par la fonction. Lorsqu’il s’agit de définir la proximité, il ne fait pas bon occulter son propre pouvoir, car tout comportement incorrect dans une position de pouvoir pèse particulièrement lourd. Plus on refoule les aspects du pouvoir, plus celui-ci peut déraper en lien avec la proximité. Pour garder le tact nécessaire dans une position de pouvoir, il est bon d’être intégré dans une équipe qui a défini un cadre clair. Les risques augmentent encore lorsqu’alors on fait cavalier seul. Un mouvement plein de tact sera plus réussi si la musique est présente, car on perçoit aussi les dissonances et le manque de tact. En d’autres termes: pour que l’équipe pastorale trouve un rythme commun, il importe d’appliquer des normes de qualité transparentes et une direction apte à corriger les manquements en temps réel. En parallèle, cela détermine un seuil pour la minorité de ceux qui ne sont pas prêts à pratiquer cette relation d’aide avec honnêteté. Les agresseurs procèdent subtilement et stratégiquement. Ils avancent avec tact, cherchent la proximité, avant de franchir – sans aucun tact – la limite de la sphère privée, puis celle de la sphère intime. C’est pourquoi la gestion des risques liés à la proximité doit être ancrée dans la structure, et non chez l’individu. Pour frapper, l’agresseur choisit son lieu de prédilection, et l’organisation à laquelle il appartient le laisse faire. Les Eglises doivent aller de l’avant et déterminer systématiquement un seuil afin de rendre plus difficile la manipulation en matière de proximité. Définir des limites, assurer une proximité de qualité sont des tâches de l’organisation et non de l’individu. Et en aucun cas de la personne qui se confie à un aumônier.