Aspects d’un travail d’équipe intergénérationnel
«Nous faisons face à des Détraqueurs», affirme Angela Rinn en juin 2023 dans une chronique sur Zeitzeichen. Pour rappel, ces êtres imaginaires, tirés de l’univers d’Harry Potter, pompent l’énergie et la joie de tout être humain.
Andreas Köhler-Andereggen
Selon Angela Rinn, les Détraqueurs auxquels sont confrontés les ecclésiastiques-stagiaires et les jeunes pasteur-e-s se trouvent parmi leurs collègues plus âgé-e-s. Ces derniers semblent manifester leur désintérêt ou regrettent que les jeunes doivent maintenant sauver ce qui ne peut l’être. De par sa fonction – elle enseigne à l’école de théologie de Herborn, en Allemagne, qui forme les pasteurs de l’Eglise régionale de Hesse-Nassau – Angela Rinn côtoie tant des étudiants que des jeunes pasteurs. Faisons-nous face à un conflit entre les générations au sein du corps pastoral? Je ne le pense pas. Mais force est de constater que les sujets évoqués sont délicats: des questions comme la collaboration et le feu sacré, l’approche des structures et des idées novatrices pour l’Eglise, la forme que doit adopter la vie et la profession des pasteur-e-s, les questions de pertinence et d’épuisement. Et il s’agit de déterminer comment on pourrait concevoir un travail d’équipe (intergénérationnel). Dans les lignes qui suivent, vous trouverez quelques réflexions autour de cette question, spécifiquement axées sur les étudiants et les jeunes pasteurs.
J’ai moi aussi entendu des témoignages d’étudiants, de stagiaires et de jeunes pasteurs qui relatent des rencontres troublantes, parlent d’équipes épuisées, de pasteurs mornes, de lamentations sempiternelles. Et parce que toute médaille a son revers, j’ajoute que j’entends aussi des réactions sur les nouveaux pasteurs-e-s: ainsi certains nouveaux ont tendance à davantage se démarquer qu’à s’investir, d’autres encore estiment que les structures et les expériences actuelles font définitivement partie du passé. Reste que je ne vois nul conflit fondamental entre les générations au sein du pastorat. Je souligne même que je rencontre nombre de pasteurs, d’étudiants et d’ecclésiastiques-stagiaires très motivés. C’est sur ces derniers que je souhaite me concentrer.
Pour un apprentissage intergénérationnel
Les médias ont tendance à catégoriser les jeunes en générations. Toutefois ces classifications (génération X, Y, Z, etc.) ne sont guère significatives. De plus en plus d’étudiant-e-s accèdent aux études de théologie par une deuxième, voire une troisième voie de formation: il n’existe pas de biographie unique parmi les étudiant-e-s en théologie. En fait, une telle biographie unique n’existe plus depuis longtemps, et la diversité s’est encore accrue ces dernières années. Les ecclésiastiques-stagiaires apportent tous une expérience de travail et un point de vue différencié sur le monde du travail. Se posent alors des questions relatives au temps de travail, à l’efficacité, à la compatibilité, mais aussi à l’interprofessionnalité. Ainsi, dans ma pratique pastorale, j’ai grandement apprécié le fait de pouvoir disposer de mon temps de travail selon mon appréciation, tout horaire imposé m’aurait semblé contraignant. Mais voilà que des stagiaires m’ont appris qu’un modèle de temps de travail précis peut avoir quelque chose de libérateur. J’y vois le présage d’une compréhension plus vaste: l’apprentissage intergénérationnel ne doit pas être pensé comme un rapport de maître à élève, une relation à sens unique où l’ancien forme le novice, mais plutôt comme un apprentissage mutuel.
L’Église ne peut que changer
Les étudiants en théologie montrent un grand intérêt pour le travail en équipe. C’est ce que montre l’étude de Maximilian Baden (2021) qui a interrogé près de 600 étudiants de premier semestre. Ses résultats montrent deux grands groupes: le premier pour lequel les questions de foi sont déterminantes, le second pour lequel la dimension sociale du métier de pasteur est centrale. D’une manière générale, on étudie surtout la théologie pour devenir pasteur, et une grande partie des étudiants ont été inspirés par un pasteur. Reste qu’à leurs yeux, les études de théologie ne sont pas un simple moyen d’atteindre un but: ils apprécient de pouvoir étudier les questions théologiques fondamentales. En majorité, les participants à l’étude ne choisiraient pas d’autre voie pour devenir pasteur, si une telle voie existait. On voit donc ici qu’une autre forme d’études n’augmenterait pas nécessairement le petit nombre d’étudiants en théologie que nous connaissons aujourd’hui. Un autre fait me semble plus préoccupant: nombreux sont ceux qui ne savent plus ce que fait effectivement un pasteur. Indépendamment de cette interrogation, il importe bien sûr de réfléchir aux voies qui doivent déboucher sur le métier de pasteur: en Suisse alémanique, la discussion est menée activement; à Halle (Allemagne), il existe une nouvelle forme d’études de théologie s’adressant aux pionniers au sein de l’Église. Pour les étudiant-e-s de l’enquête, changer l’Église va de soi. Bien que changer les choses ne soit pas leur motivation principale, cette affirmation montre une compréhension fluide de l’Église, ouverte au changement. La collaboration fonctionne donc en permettant une compréhension flexible de l’Église et en s’interrogeant sur les attributions actuelles. Ce qui remet notamment en question l’esprit de clocher au sein des équipes.
Les points essentiels de demain
Dans l’ouvrage «Kirche der Zukunft – Zukunft der Kirche» (L’Église à l’avenir et l’avenir de l’Église), 23 jeunes pasteur-e-s définissent les priorités pour demain, en dégageant trois principales. Ces jeunes veulent à l’avenir donner davantage d’espace aux actes ecclésiastiques, mais aussi en découvrir de nouveaux. Ils/elles veulent davantage s’impliquer dans l’espace social, chercher des alliés en dehors des églises. Et au sein des paroisses locales, ils veulent encourager chacun à vivre l’Église. Autrement dit: ils/elles veulent être l’Église avec d’autres. Tout sauf révolutionnaires, ces idées révèlent notamment une autre conception du travail d’équipe que celle habituellement présente tant dans la théologie pastorale que dans la pratique. Il ne s’agit pas d’équipes constituées dans une optique de complémentarité, mais du travail d’équipe de personnes partageant les mêmes idées et poursuivant un objectif commun. Et c’est là que la collaboration d’acteurs de différentes générations, prêts à apprendre les uns des autres et à détendre l’esprit de clocher, pourrait s’avérer enrichissante.